mardi 15 mai 2012

La talibanisation du Mali peut encore être évitée (Point de situation).


Après la désastreuse intervention franco-otanienne en Libye qui a eu pour résultat de disloquer les équilibres régionaux, les fondamentalistes musulmans ont entrepris de faire du Sahel un nouvel Afghanistan. Créés par les services algériens -comme les jihadistes afghans le furent par les Américains-, ils ont pris leur totale autonomie avant de se retourner contre Alger. Aujourd’hui, les principaux groupes salafistes qui opèrent au Sahel et au Sahara sont dirigés par des Algériens et très majoritairement composés d’Algériens. Ils se sont armés en puisant dans les arsenaux libyens.
Ces groupes qui opéraient primitivement dans la partie « arabe » du Sahara ont noué des alliances avec certaines composantes touareg, ce qui leur a permis d’étendre leur zone d’influence. Aussi, quand, au mois de janvier 2012, éclata l’insurrection des Touareg du Mali regroupés dans le MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad), fondé par le colonel Ag Gamou, ancien de l’armée libyenne, une politique intelligente, et je n’ai eu de cesse de le dire, aurait consisté à soutenir ces derniers contre les islamistes.

Aujourd’hui, deux grands fronts sont ouverts dans l’ouest saharien. Celui du Nord concerne directement les Algériens. Le second a son cœur au Mali où deux guerres se déroulent. L’une est menée par les Touareg du MNLA qui ont proclamé l’indépendance de l’Azawad, l’autre l’est par les diverses fractions salafistes sahariennes. Ces deux guerres sont à base ethnique car le MNLA est l’émanation des Touareg, essentiellement Ifora, tandis que le Mujao (Mouvement pour l’unicité du Jihad en Afrique de l’Ouest ) est composé d’Arabes ou de Berbères très anciennement arabisés. Ces derniers ont toujours lutté contre les Touareg pour le contrôle des axes transsahariens et aujourd’hui, ils prolongent cette politique sous le couvert de l’Islam radical.
Le clivage ethno religieux est donc très clair, y compris dans le mouvement Ançar Eddine qui se veut lui aussi jihadiste et qui est pourtant à l’origine une composante de la rébellion touareg. Son fondateur, Ayad Ag Ghaly, figure historique de l’irrédentisme touareg l’a en effet créé après qu’il eut été écarté de la direction du futur MNLA par ses frères ifora ayant servi le colonel Kadhafi. Comme il lui fallut alors un « créneau » d’existence, il choisit de s’appuyer sur les salafistes. Aujourd’hui, son pouvoir ayant été contesté par son commandant militaire, un Arabe nommé Omar Hamaha, Ançar Eddine a de fait éclaté sur une base ethnique, sa composante touareg voulant l’indépendance de l’Azawad cependant que sa fraction arabe y est totalement opposée puisqu’elle revendique au contraire la création d’un khalifat islamique transnational.
Au début de la deuxième semaine du mois de mai, la composante touareg d’Ançar Eddine a même rejoint le MNLA à Gao où s’est tenue une conférence rassemblant les chefs des tribus touareg et dont le but était de définir une politique commune face à la menace islamiste qui plombe la revendication indépendantiste. Lors de cette réunion, un ultimatum a été adressé aux islamistes qui ont jusqu’au 17 mai pour quitter la région. Après cette date, ils seront considérés comme des ennemis et pourchassés. Afin de ne pas perdre la face, Ayad Ag Ghali dont le zèle islamique récent étonne ceux qui le connaissent, a accepté de repousser la question de la charia à la tenue d’un référendum populaire après l’indépendance effective de l’Azawad. L’entente fut également trouvée sur le nom du nouvel Etat, la dénomination République islamique de l’Azawad ayant été abandonnée au profit de République de l’Azawad.

Une autre nouveauté de taille est intervenue ces derniers jours quand le colonel Ag Gamou, un Touareg de la tribu Imghad, a annoncé la création du MRRA (Mouvement républicain pour la restauration de l’Azawad). Ce groupe armé voulant engerber les diverses populations du nord Mali comme les Songhay, les Peul, les Arabes et certaines tribus touareg, refuse l’islamisme tout en militant pour l’autonomie, et non l’indépendance, de l’Azawad. Le MRRA semble être soutenu par la Mauritanie, mais d’abord par l’Algérie qui ne veut pas plus d’un Etat touareg que d’une zone de non droit au sud de sa frontière.
L’irruption du MRRA risque de changer les rapports de force locaux en raison du poids des Imghad au sein de l’ensemble touareg et du soutien que paraît lui apporter le FNLA (Front national de libération de l’Azawad), mouvement essentiellement maure et arabe, lui aussi opposé aux islamistes mais partisan de l’autonomie de l’Azawad. Si le colonel Ould Meidou, un Arabe, ancien commandant de la région de Mopti le rejoignait comme certains indices semblent le laisser prévoir, un basculement de la situation pourrait s’opérer aux dépens à la fois des islamistes et du MNLA. Ce dernier risquerait alors la marginalisation et le repli ethno géographique sur la partie purement touareg et désertique de l’Azawad.
L’union autour du MRRA permettrait donc de repousser les islamistes tout en contraignant le MNLA à revenir sur sa déclaration d’indépendance. Dans l’immédiat, plus que le danger islamiste qui semble en passe de pouvoir être contenu, la probabilité est davantage celle de guerres fratricides entre Touareg Ifora et Imghad, entre Ifora venus de Libye et ceux obéissant à Ag Ghaly, entre Arabes et Touareg…

Quoiqu’il en soit, l’Azawad a échappé à Bamako et cela même si la carte du pays n’est pas redessinée. L’option de sortie de crise pourrait alors être celle d’une très large autonomie de cette immense région autour de ses trois grandes composantes ethno géographiques à savoir : la partie sud, le long du Niger, notamment peuplée par des Songhay et des Peul ; la partie nord, ou cœur de l’Azawad, territoire des Touareg et l’ouest saharien « arabe ».
L’aspiration naturelle de toute société humaine qui est « une terre, un Peuple » étant satisfaite, il serait ensuite possible de régler militairement la question islamiste, cette artificielle tentative de placage universaliste sur des populations saharo-sahéliennes parfaitement identifiées par l’histoire.

Bernard Lugan
15/05/12

12 commentaires:

  1. Court, concis, claire. Que demander de mieux ?, merci pour ce point de situation, j'en retiens une chose, attendons le 17 pour voire comment évolue les relations entre l'Azawad et les islamistes.

    Borisniper

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  2. La dynamique politique du MNLA est essentiellement territoriale -et c'est ce qui distingue ce mouvement de ses prédécesseurs, et non ethnique comme vous le suggérer. L'option d'une division territoriale ethnique est un non sens historique, politique et géographique ! Pire, cette option ne pourra qu'enraciner les prémices de lutte inter-fractions/ethnique qui émergent au nord et aura pour seule conséquence d'aiguiser les appétits territorialiste des différents groupes qui ont toujours réussit le paris du vivre ensemble.
    Vos théses, Monsieur Lugan, démontrent encore une fois une vision réactionnaire et extrêmement simpliste de la crise malienne.

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    1. Ancelm ou l'oxymore de la liberté orthographique...
      Outre une apparente dyslexie épistémologique, je devine aussi chez lui une défectueuse méthodologie de la critique.

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  3. mon cher monsieur Lugan, vous devriez vous renseigner sur vos informations car elles sont erronnées et inadmissiblement fausses.... Vous ecrivez des erreurs, vous êtes mal informer.... c'est passablement consternant

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    1. Par exemple ?
      Ou s'agit-il simplement du pouvoir de la déclaration dont vous faites inopportunément usage ?

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  4. Le chef du MNLA s'appelle Le Colonel Mohamed Ag Najim pas Gamou qui lui est le chef du nouveau et moribond mouvement du mrra qui ne represente rien comme d'ailleurs le FNLA.
    ça s'appelle de la récup mais les Touaregs de tous bords l'ont compris et avance vers l'independance pleine et totale de l'Azawad.Le reste c'est de la distraction des quelques hiberlulus instrumentalisés par Alger pas par la Mauritanie.Alger utilise les barbus d'Aqmi.Voila.Merci Mr Lugan

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  5. La Talibanisation se retrouve plus du côté de la Libye. Au début de l’insurrection, il n y avait que 7 Katibates de jihadistes à leur tête ABderrezak BELHADJ un vétéran d'Afghanistan, aujourd'hui il y a plus de 100. En dehors de Tripoli, qui est découpée en secteur par quartier, le reste du pays c'est la guerre des chef de région (ethnique et idéologique). Hier, le 17 Mai, une bataille rangée s'est déclarée à Ghdames à la frontière algérienne entre des populations Touregues, laissées pour compte après la chute de Khadafi, et des milices incontrôlées. Bilan plus de 17 Morts en majorité Terguis. Aujourd'hui, c'est les femmes des Terguis qui veulent vengées leur époux. Parmi les victime, un ancien chef Tergui de l'armée KLhadafiste à Ghdames dénommé Aissa TALILI alias Hamma et Hamza Oukha Ould Moussa et ramadhan Cheikh de la tribu Chenkeb. Coté Ghdamiste on dénombre une victime de la famille Bouzemalat qui les lybiens Dhdamistes refusent leur retour à leurs maisons déjà spoliées. Les femmes Terguis accusent des Snipers sur les toits des maisons de la ville venus de ...Tunisie.

    A suivre

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  6. Le mali compte en son sein des hommes de qualité qui ne font pas partie du "marigot". Ce sont eux qu'il faut soutenir pour que le Mali reste un et indivisible. Des références historiques tel que l'empereur Mansa Moussa, avait su maintenir l'unité de l'empire à travers un partage équitable des richesses du pays. Le mali doit chasser les crocodiles qui l'on miné et pillé.
    http://www.appelpourlapaixaumali.com/

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  7. Monsieur Lugan, si l'on en croit l'article " Nord-Mali : la rébellion crée un État islamique " du Figaro à l'adresse http://www.lefigaro.fr/international/2012/05/27/01003-20120527ARTFIG00058-nord-mali-la-rebellion-cree-un-etat-islamique.php il semble que la possibilité de sous-traiter le problème des islamistes au MNLA ne soit plus d'actualité. Comment expliqueriez-vous ce revirement dans la stratégie du MNLA ?

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    1. Question pertinente...

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    2. Finalement vous n'aurez pas besoin de vous expliquer, ou plutôt vos explications précédentes suffisent largement : "Nord-Mali : le MNLA et Ançar Dine rompent leur alliance" http://www.afrik.com/article25778.html
      En attendant un éventuel revirement...

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  8. Etrange que ce courage qu'ont vos lecteurs de poster sous l'anonymat!
    Pour ma part j'attends toujours cette intervention "courageuse" de notre président fantoche.

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