lundi 28 août 2017

Franc CFA : l’arrestation de Kemi Séba relance le débat

L’arrestation à Dakar le 25 août 2017 du nationaliste panafricaniste Kemi Séba accusé d’avoir brûlé en public un billet de 5000 francs CFA (moins de 8 euros), pose d’une manière très médiatisée la question du maintien de cette monnaie créée en 1945 et accusée par l’immense majorité des jeunes intellectuels africains d’être à la fois une survivance de la période coloniale et un moyen pour la France de continuer à exercer une tutelle sur ses anciennes colonies.

Dans une longue analyse intitulée « Franc CFA : « boulet colonial » ou « danseuse » ? » et réservée aux abonnés à l’Afrique Réelle ( son résumé a été publié sur ce blog le  6 décembre 2016), j’ai montré que :

1) Cette monnaie n’est pas un obstacle au développement des 14 pays africains (plus les Comores), membres de la zone franc pour lesquels elle constitue la monnaie commune,

2) Qu’elle est au contraire un atout pour eux, la France jouant à leur profit le rôle d’une assurance monétaire.

Economiquement parlant, le positif l’emportant sur le négatif, les pays africains concernés auraient donc avantage au maintien du CFA. Mais, avec ce dernier, nous n’en sommes plus au débat économique, mais à la symbolique.

Par ailleurs, contrairement à ce qui est constamment affirmé, la France n’a, quant à elle, aucun intérêt réel au maintien du CFA et de sa zone. Les chiffres publiés par la Direction générale du Trésor (avril 2016 en ligne) tordent en effet le cou à bien des légendes en mettant en évidence trois points importants:

1) En 2015, alors que la totalité de ses exportations mondiales était de 455,1 milliards d’euros, la France a vendu à la seule Afrique sud saharienne pour 12,2 milliards d’euros de biens et marchandises, soit 2,68 % de toutes ses exportations. Sur ces 12,2 milliards d’euros, la zone CFA en a totalisé 46%, soit environ 6 milliards d’euros, soit à peine 1,32% de toutes les exportations françaises. Pour ce qui est des importations, les chiffres sont voisins.

2) La zone CFA n’est pas non plus cette « chasse commerciale gardée » permettant aux productions françaises de bénéficier d’une sorte de marché réservé comme certains l’affirment. En 2015, la part de la France dans le marché de cette zone ne fut  en effet que de 11,4%, loin derrière la Chine.

3) Les détracteurs du CFA disent que les comptes d’opérations étant ouverts auprès du Trésor français, ce dernier bloque des sommes d’environ 14 mds d’euros qui appartiennent aux Africains et dont les intérêts lui profitent. Là encore, sachons raison garder. Que pèsent en effet ces 14 mds d’euros qui servent de garantie aux Etats africains pour la couverture de leurs achats à l’étranger comparés aux +- 400 milliards d’euros du budget de la France ?

Conclusion

1) Le poids de la zone CFA étant pour elle anecdotique, l’économie française ne serait donc guère affectée par sa suppression.

2) Politiquement, avec le CFA, nous en sommes davantage aux réactions psychologiques qu’aux analyses argumentées. L’intérêt de la France est donc de le supprimer ainsi que sa zone afin d’en finir une fois pour toutes, sept décennies après les indépendances, avec les lassantes et répétitives accusations de néocolonialisme et de « françafrique »[1].

Bernard Lugan
28/08/2017

[1] Voir mon livre « Osons dire la vérité à l’Afrique ». Le Rocher, 2015. A commander ici.

jeudi 3 août 2017

L'Afrique Réelle N°92 - Août 2017


























Sommaire

Actualité :
Mali : la France entre Barkhane et le G5 Sahel

Dossier Rwanda : Allons-nous enfin savoir qui sont les assassins du président Habyarimana ?
- Le curieux missile du Kivu
- Que contient le dossier du juge Herbaut, successeur du juge Trévidic ?

Livres :
Sétif, encore et encore...


Editorial de Bernard Lugan

Face au chaos libyen qu’ils ont provoqué, s’obstinant à nier le réel et encalminés dans le néocolonialisme démocratique, les « Occidentaux » ont prétendu reconstruire la Libye autour d’un fantomatique gouvernement d’ « Union nationale ». Présidé par M. Fayez Sarraj, ce GUN est en réalité l’otage des milices islamistes de Tripolitaine et des Frères musulmans de Misrata. 
Face à cette politique « hors sol », la Russie a déroulé un plan reposant sur les rapports de force militaires. Sa conclusion fut le voyage que le général Haftar - l’homme avec lequel la « diplomatie » européenne refusait de parler directement -, effectua à Moscou les 27 et 28 novembre 2016. 
Du jour au lendemain, les nains politiques de l’UE réalisèrent alors que le « rebelle obstacle à la démocratisation de la Libye » était en réalité le maître de la Cyrénaïque, qu’il disposait de la seule force militaire du pays, qu’il contrôlait 85% de ses réserves de pétrole, 70% de celles de gaz, 5 de ses 6 terminaux pétroliers, 4 de ses 5 raffineries, et qu’il avait l’appui de la confédération tribale de Cyrénaïque ainsi que celui des tribus kadhafistes de Tripolitaine[1].
Le 25 juillet 2017, le président Macron a organisé une rencontre entre Fayez Sarraj et le général Haftar, ce dernier voyant ainsi sa stature internationale confortée. Les deux hommes ont conclu un accord non signé et non ratifié. 
Que peut-il en résulter alors que le général Haftar est le maître de la Cyrénaïque quand Fayez Sarraj ne contrôle même pas Tripoli et vit sous la menace permanente des milices ? 
Les deux hommes se sont engagés à organiser des élections. Certes, mais la Libye a déjà connu plusieurs scrutins qui n’ont à aucun moment permis d’avancer sur le chemin de la paix. De plus, comme le Conseil des tribus n’a pas été partie prenante à cet accord, si Seif al-Islam Kadhafi n’y est pas associé d’une manière ou d’une autre, il demeurera lettre morte.

*
La situation s’aggrave au Mali où, en dépit de l’accord de paix, les groupes armés signataires s’entretuent. Le climat sécuritaire du pays est plus mauvais aujourd’hui qu’il y a quatre ans, quand le président IBK a été élu. A l’insécurité dans le nord, s’ajoute en effet le centre du pays où, pudiquement, les observateurs parlent de « violences communautaires » pour ne pas dire  guerre ethno-tribale, l’islamisme n’étant ici que la surinfection d’une plaie ethnique.

*
Les Casques bleus de la mission de paix au Congo (Monusco) ont mis la main sur un missile sol-air récupéré sur une milice du Kivu armée par Kigali. Il porte les mêmes numéros de série et a été fabriqué à la même date (avril 1987), que les deux missiles qui ont abattu l’avion présidentiel rwandais le 6 avril 1994. Ces éléments sont contenus dans un rapport officiel de la Monusco dont le rédacteur demande qu’il soit transmis au P5 (les cinq membres permanents du Conseil de sécurité) ou au P3 (les trois membres occidentaux du conseil de sécurité), à défaut, aux autorités judiciaires françaises en charge de l’enquête concernant l’attentat du 6 avril 1994. 
Ce rapport a maintenant plus de 10 mois. Si l’ONU ne l’a pas encore transmis au juge Herbaut, cela démontrerait une fois de plus que certaines puissances ne veulent toujours pas, 22 ans après l’attentat qui fut le déclencheur du génocide du Rwanda, que la vérité soit faite sur son (ses) commanditaire(s).

[1] Pour tout ce qui concerne les tribus de Libye et leurs alliances, voir de Bernard Lugan Histoire de la Libye des origines à nos jours