lundi 28 novembre 2011

Maroc : réflexions sur la « victoire » relative des islamistes

Contrairement à ce qui est affirmé par les médias, c’est une victoire relative que viennent de remporter les islamistes marocains alors même qu’ils menèrent une très forte campagne de mobilisation et annonçaient un raz de marée électoral. Leur victoire apparente n’est due en effet qu’à une nouvelle disposition constitutionnelle faisant obligation au roi de nommer un Premier ministre issu du parti arrivé en tête lors des élections législatives. Sans cela, ils auraient été mathématiquement écartés du pouvoir. Que l’on en juge :

Le parti islamiste PJD (Parti de la Justice et du développement) qui affirme à la fois sa « modération » et son attachement à la monarchie, a réuni  30 % des votants, soit 15% des inscrits, et obtenu 107 sièges sur 395 dans la nouvelle assemblée. Il est donc clairement minoritaire, à la fois dans l’absolu mais également face aux deux grandes coalitions sortantes. En renversant la perspective nous constatons en effet que 70% des votants ne lui ont pas accordé leurs suffrages et qu’au parlement, 288 députés appartiennent à des formations autres que la sienne.
Le parti arrivé en seconde position est l’Istiqlal, parti nationaliste historique ancré comme le PJD sur le terreau islamique et qui remporte 60  sièges au Parlement. En troisième et quatrième position, nous trouvons deux partis liés au Palais, à savoir le RNI (Rassemblement national des Indépendants) qui obtient 52 sièges et le PAM (Parti Authenticité et Modernité) 42 sièges, soit à eux deux quasiment autant que le PJD. En cinquième place, l’USFP (Union socialiste des Forces Populaires) poursuit son délitement avec 39 sièges, puis, arrivent le MP (Mouvement Populaire), parti berbériste monarchiste avec 32 sièges, l’Union Constitutionnelle  avec 23 sièges et le PPS (Parti du progrès et du Socialisme) avec 18 sièges. Dix autres partis totalisent  les sièges restants.

Les responsables du PJD ont déclaré qu’ils étaient prêts à former un gouvernement de coalition, ce que, avec sa légèreté coutumière, la presse française a salué comme une preuve de maturité politique. Or, cette « conscience démocratique » doit, elle aussi, être relativisée car le PJD n’a pas d’autre choix que de nouer des alliances.  Il est même acculé à trouver des alliés puisqu’il lui manque au moins 90 sièges pour disposer d’une majorité de gouvernement.

Quelques réflexions et questions :

- On ne peut comparer le référendum du 1° juillet 2011 sur la Constitution qui a rassemblé 72% des inscrits et les dernières élections législatives, avec un taux de participation de 45,4%. Le premier fut en réalité un référendum sur la Monarchie au moment où, monté en épingle par la presse internationale, un mouvement révolutionnaire agitait la rue, demandant sa mise sous tutelle ou même sa disparition. Or, 99  % des Marocains, ont voté en faveur d’une monarchie certes modernisée, mais d’abord traditionnelle avec un roi qui continue à régner, même s’il ne dirige plus seul. Si le présent scrutin législatif n’a réuni qu’un peu plus de 45 % des citoyens inscrits sur les listes électorales -pour mémoire celui de 2002  n’en avait attiré que  37 %-, la raison de cette faible participation n’est pas à rechercher dans un désaveu du souverain, mais dans celui de la classe politique et de partis totalement discrédités.

- Le roi Mohammed VI  va laisser les partis jouer le jeu constitutionnel après avoir nommé un membre du PJD comme Premier ministre. Puis, deux cas de figure se présenteront :

1) Une majorité de gouvernement sera constituée avec pour conséquence la dissolution des revendications du PJD qui n’aura pas la force politique lui permettant d’imposer un retour en arrière au sujet des grandes réformes entreprises par le souverain au début de son règne, notamment le code de la famille.

2) Un blocage du système avec anarchie parlementaire et impossibilité de constituer une véritable et stable majorité de gouvernement, ce qui contraindrait alors le roi à intervenir pour mettre fin à la crise. Ne perdons pas de vue, et le règne d’Hassan II l’a montré, que chaque tentative d’instauration d’une démocratie véritable au Maroc a, par le passé, débouché sur des évènements gravissimes obligeant le souverain à reprendre directement le contrôle des affaires[1]

- Autre question : le PJD a-t-il atteint son étiage ou bien ce scrutin n’est-il qu’une étape dans une lente et inexorable progression ? Ne va-t-il pas profiter du discrédit qui va encore davantage entourer des  partis politiques s’entre-déchirant pour le pouvoir et ses avantages ? Ne risque t-il pas au contraire d’être emporté dans le tourbillon des intrigues parlementaires qui s’annoncent et dans ce cas, laisser filer ses électeurs déçus vers ces radicaux extra parlementaires qui contestent à la fois la monarchie et la notion de Commandeur des Croyants ?

Bernard Lugan
28/11/2011

[1] Voir à ce sujet les pages 327 à 332 de mon livre intitulé  Histoire du Maroc, Ellipses, 2011.

vendredi 25 novembre 2011

Libye : point de situation le 25 novembre 2011

En Libye la guerre des clans se déroule désormais au grand jour en Tripolitaine où cinq grandes forces sont présentes à Syrte, à Misrata, à Bani Walid, dans le jebel Nefusa et à Zenten ainsi qu'à Tripoli :

- Les tribus de la région de Syrte ont cessé le combat écrasées sous les bombes de l’Otan mais elles ont conservé leurs fidélités. Maintenant que l’aviation occidentale a regagné ses bases, certaines sont prêtes à reprendre la lutte contre le CNT.

- Les milices de Misrata, celles qui capturèrent et lynchèrent le colonel Kadhafi, refusent toute autre autorité que celle de leurs chefs. Toutes les composantes de Tripolitaine les haïssent, y compris les islamistes de Tripoli.

- Au sud de Misrata, autour de Bani Walid la fraction tripolitaine de la tribu des Warfalla, soit environ 500 000 membres, est toujours fidèle à l’ancien  régime.

- Dans la région de Tripoli, les combats entre les deux milices berbères du djebel Nefusa et de Zenten d’une part et les islamistes du Tripoli Military Council  (TMC) d’autre part, ont connu une accélération ces derniers jours.

Un évènement de très grande importance s’est produit le 25 novembre avec l’arrestation à l’aéroport de Tripoli d’Abelhakim Belhaj, chef du TMC alors que, sous une fausse identité, il tentait de s’envoler pour la Turquie. L’arrestation par la  brigade de Zenten de ce fondamentaliste ancien combattant d’Afghanistan soutenu par le Qatar, marque un tournant dans l’évolution de la situation libyenne. Pourquoi ce départ rocambolesque ?  Se sentait-il menacé et prenait-il la fuite ; se rendait-il en mission secrète en Turquie ? Cette arrestation marque t-elle le début du rejet de l’oppressante omniprésence des forces et des agents du Qatar, nombre de Libyens se demandant si leur pays n’est pas devenu une colonie de cet émirat richissime mais sous-peuplé dont l’armée est composée de mercenaires ?
Abelhakim Belhaj a été libéré sur appel  du président du CNT, Mustapha Abdel Jalil.

Le fond du problème que les observateurs n’ont une fois de plus pas vu, et que certains vont une fois de plus reprendre, naturellement sans me citer, et cela dès qu’ils auront lu mon communiqué, est que les Berbères ont décidé de jouer leur carte. Grands perdants -comme je l’avais annoncé-, de la nouvelle situation politique, ils se retrouvent en effet, comme avant la chute du régime Kadhafi, face à un nationalisme arabo-musulman qui nie leur existence. Aucun ministre du nouveau gouvernement n’est Berbère alors que leurs deux brigades constituèrent les seuls éléments militairement opérationnels de la rébellion. Face à cette situation, le 25 novembre, la Conférence Libyenne des Amazighs (Berbères)  a suspendu ses relations avec le CNT. 
Militairement, les Berbères semblent avoir pris le contrôle d’une partie de la ville de Tripoli, dont l’aéroport. Autre atout, ils détiennent Seif al-Islam Kadhafi qu’ils ont traité avec considération et même respect. Une telle attitude n’est pas innocente car elle contraste avec les traitements ignominieux que les miliciens de Misrata firent subir à son père et que nombre de Libyens ont juré de venger.
Si l’actuel gouvernement ne donne pas satisfaction aux Berbères qui constituent environ 10% des 6 millions de Libyens, une alliance tournée à la fois contre le CNT et contre Misrata et qui engloberait leurs milices, la fraction tripolitaine des Warfalla ainsi que les tribus de la région de Syrte, pourrait être constituée. Ce serait sans coup férir qu’elle s’emparerait de la Tripolitaine, seule Misrata étant capable de résister un moment. Sans compter qu’au Sud, les Touaregs et les Toubou sont eux aussi restés fidèles à leurs alliances passées.
Quant à la Cyrénaïque qui est aujourd’hui sous le contrôle direct des islamistes, elle a de fait échappé aux autorités de Tripoli.

Bernard Lugan
25/11/11

jeudi 17 novembre 2011

L'Afrique Réelle N°23 - Novembre 2011





















SOMMAIRE :

ACTUALITE :
- Il n'y a pas eu de printemps arabe en Afrique du Nord
- L'Algérie : un vaisseau fantôme au milieu des écueils

DOSSIER : POUR EN FINIR AVEC LE MYTHE DU "MASSACRE" DES ALGERIENS A PARIS LE 17 OCTOBRE 1961
- L'état des connaissances
- Le massacre du 17 octobre 1961 : vérités et légendes
- Rapport sur les archives de la Préfecture de police

EDITORIAL :

Cinq grands enseignements peuvent être tirés des élections tunisiennes :
1) Ce vote montre que la Tunisie est coupée en deux puisque les islamistes et leurs alliés totalisent environ 50% des suffrages. Face à eux, les 50% de « laïcs » sont divisés. Les islamistes sont donc les maîtres du jeu.
2) Ce résultat constitue rejet de la greffe occidentale tentée il y a plus d’un demi-siècle par Bourguiba, ce qui montre que l’on ne va pas contre la nature profonde des peuples. L’on a en effet trop longtemps oublié que la Tunisie est un pays musulman, donc non laïc..
3) La laïcité tunisienne était en quelque sorte un luxe réservé à une élite occidentalisée vivant entre Paris et Tunis. Or, cette élite s’est tiré une balle dans le pied en renversant Ben Ali qui lui interdisait certes la plénitude de l’expression politique, mais qui, en revanche, lui permettait de vivre pleinement à l’européenne en pays musulman.
4) Ces élections auront fait bien des cocus, à commencer par les médias français tombés littéralement amoureux de la « révolution du jasmin », laquelle était tout, sauf une victoire de la démocratie et des droits de l’homme tels que leur esprit formaté se l’imaginait.
5) Les Tunisiens vivant en France ont majoritairement voté pour les islamistes, ce qui devrait faire réfléchir les irresponsables qui veulent accorder le droit de vote aux immigrés.
En Libye, où nous n’avons pas assisté à une révolution démocratique, mais à une guerre tribale et régionale dont ont finalement profité les islamistes, le nouveau régime portera une tare originelle. Celle d’avoir été mis au pouvoir grâce et par une intervention militaire de l’Occident immiscé sans raisons dans une guerre civile qui ne le concernait en rien. Comme les nouvelles autorités vont devoir effacer ce péché originel, elles vont immanquablement procéder à une surenchère islamiste à défaut d’être nationaliste car la Libye n’existe pas.
L'affaire libyenne est en définition un échec majeur, sauf pour les militaires français qui ont, une fois de plus, montré leur professionnalisme et leurs compétences, hélas mises au service d'une politique aberrante et qui va se retourner contre nous.
En Egypte, la révolution s’est faite en dehors du petit peuple des fellahs. Ce fut une révolte des citadins et des bourgeois, des privilégiés en somme, qui, comme en Tunisie, renversèrent un dictateur qui limitait leur expression politique et sans voir qu’ils se précipitaient dans un abîme.
On ne cesse de nous répéter qu’en Libye et en Tunisie, l’islam est « modéré ». Certes, mais par rapport à quoi ? A notre propre philosophie héritée des Lumières et fondée sur le contrat social ? La question n’a pas de sens car nous sommes dans deux systèmes de pensée totalement différents et irréductibles l’un à l’autre.
En définitive, le « printemps arabe », n’a existé que dans l’esprit simplificateur des journalistes comme nous l’expliquons dans ce numéro 23 de l’Afrique Réelle.

vendredi 11 novembre 2011

Nouvelle défaite pour SOS Racisme

Le 8 novembre dernier, après cinq années de coûteuses procédures, la Cour de Cassation a rejeté le pourvoi formé par l’association SOS racisme qui poursuivait Pierre Péan, auteur d’un livre intitulé « Noires fureurs, Blancs menteurs » et dans lequel il prend le contre-pied de l’histoire officielle concernant le génocide du Rwanda[1]. Pierre Péan ayant gagné ses procès en première instance et en appel, SOS Racisme subit donc une troisième grave défaite, ce qui devrait faire réfléchir ses généreux donateurs.

A travers ce procès emblématique, SOS Racisme a montré son vrai visage, celui d’une organisation militante dont l’acharnement contre Pierre Péan avait pour but de décourager ceux qui oseraient à l’avenir mettre en doute la thèse de Kigali concernant le génocide du Rwanda.
Or, l’histoire « officielle » de ce génocide a été totalement bouleversée à travers quatre jugements rendus par le TPIR (Tribunal pénal international sur le Rwanda)[2]. Expert assermenté dans trois de ces quatre procès, je suis bien placé pour décrypter la portée des jugements rendus et cela, au-delà du véritable « enfumage » auquel se sont livrés les média ayant une fois de plus agi en simples porte-voix du régime de Kigali et de la vision de l’histoire qu’il prétend imposer.

1) Le 28 novembre 2007, la Chambre d’Appel du TPIR a acquitté Ferdinand Nahimana, un des fondateurs de la Radio Télévision des Mille Collines (RTLM) de l’accusation « de commettre le génocide, d’incitation directe et publique à commettre le génocide, de persécution et d’extermination », considérant que la création de RTLM n’entrait en rien dans le plan génocidaire. Or, jusque là, la thèse officielle était que le génocide avait été programmé puisque les « extrémistes hutu » avaient fondé la RTLM pour le préparer.

2) Le 18 décembre 2008 le TPIR a déclaré le colonel Bagosora non coupable « d’entente en vue de commettre un génocide », faisant ainsi voler en éclats les bases mêmes de l’histoire officielle du génocide du Rwanda car le colonel Bagosora fut constamment présenté comme le « cerveau » de ce génocide.

3) Selon le régime de Kigali, le génocide fut planifié par l’Akazu (ou petite maison, ou petite hutte), cercle nébuleux et criminel constitué autour de la belle famille du Président Habyarimana et dont Protais Zigiranyirazo, frère d’Agathe Habyarimana, épouse du président, était le chef. Ce petit groupe aurait comploté et planifié l’extermination des Tutsi dans le but de préserver son pouvoir et son influence. Le procès de M. Zigiranyirazo était donc lui aussi emblématique puisqu’il était censé mettre en évidence le cœur même de la préparation du génocide.
Or, le 18 décembre 2008 en première instance le TPIR a écarté la thèse du complot ourdi par M. Zigiranyirazo et sa belle famille et l’a acquitté du principal chef d’accusation, à savoir d’avoir prémédité le génocide et d’avoir comploté en ce sens avec le colonel Bagosora et Agathe Kanziga épouse du président Habyarimana pour exterminer les Tutsi du Rwanda. Le mythe de l’Akazu s’envolait donc. Le 16 novembre 2009, en appel, M. Zigiranyirazo a été acquitté des dernières accusations pendantes et immédiatement libéré.

4) Dans l’affaire dite Militaires I étaient notamment jugés les anciens chefs d’état-major de l’armée et de la gendarmerie, les généraux Augustin Bizimungu et Augustin Ndindiliyimana. Le 19 mai 2011, ils ont été acquittés du chef principal qui était celui de l’entente en vue de commettre le génocide. Ainsi donc, pour le TPIR, la hiérarchie militaire n’a ni prémédité, ni programmé le génocide.

A travers ces quatre jugements[3], c’est donc l’histoire « officielle » du génocide du Rwanda qui est réduite à néant. En effet, si ce génocide ne fut ni prémédité, ni programmé, c’est donc qu’il fut « spontané ».
Or, l’évènement majeur et déclencheur qui provoqua la folie meurtrière fut l’assassinat du président Habyarimana dans la soirée du 6 avril 1994, puisque les massacres commencèrent dès la nouvelle de l’attentat connue, quand les partisans du président assassiné attribuèrent ce crime au FPR, donc à leurs yeux aux Tutsi et à leurs alliés hutu, les « Hutu modérés » des journalistes.
Ceux qui ont abattu l’avion du président Juvenal Habyarimana portent donc l’immense responsabilité d’avoir directement ou indirectement provoqué le drame du Rwanda. Or encore, selon le juge français Bruguière et le juge espagnol Merelles, le président Kagamé aurait ordonné cet attentat et ils donnent même les noms de ceux qui auraient tiré les deux missiles ayant abattu l’avion présidentiel.
Voilà ce qui dérange les « amis » de Kigali, dont SOS Racisme. D’autant plus que Théogène Rudasindwa, ancien directeur de cabinet de Paul Kagamé, exige d’être entendu par le TPIR et par un juge français afin, selon ses propres termes, de pouvoir « divulguer tous les détails sur l’attentat du 6 avril 1994 » dont il impute la responsabilité à l’actuel chef de l’Etat rwandais. L’heure de vérité approche donc, et inexorablement…

Bernard Lugan
11/11/11

[1] Pour la déconstruction de cette histoire officielle, on se reportera à mon livre Rwanda : contre-enquête sur le génocide. Privat, 2007.
[2] Pour les détails, explications et développements concernant ces procès, l’on se reportera à l’Afrique Réelle n°4
[3] Les prévenus ont été condamnés pour d’autres motifs que celui de préméditation du génocide. Voir à ce sujet les commentaires de ces jugements dans l’Afrique Réelle.